…Il ne se passe souvent rien ou pas grand-chose !
Je ne veux pas être excessif dans mes propos, mais vous avouerez qu’à part un rendez-vous chez notre assureur ou notre banquier pour comprendre pourquoi notre contrat d’assurance-vie n’a progressé que de 1.40% net sur l’année 2019, c’est le grand vide.
Or, aujourd’hui, l’encours en France des capitaux en assurance-vie dépasse 1700 Milliards d’euros. Nous, souscripteurs de contrats, méritons sans aucun doute un peu plus de considération.
Après cette douce provocation, je me dois d’être plus précis. En effet, cette absence de conseils a pour conséquence de générer une déshérence (capitaux non versés aux bénéficiaires) en France à près de 30 milliards d’euros (selon le rapport Attali), estimation la plus alarmante.
Mais alors, où le bât blesse ?
« LA CLAUSE BENEFICIAIRE »
Philippe Baillot, le Médiateur de l’Assurance déclare en 07/2019 au journal « Capital » :
« …trop peu de clauses bénéficiaires correspondent aux volontés des souscripteurs. Parce qu’elles ont été mal rédigées dès la signature du contrat…, ou bien n’ont pas été révisées, entre autres pour coller aux évolutions de la situation familiale du souscripteur, …, ce que je déplore.
Un divorce, un remariage, la naissance d’un enfant, je pourrais citer bien d’autres situations, et la clause bénéficiaire d’origine, même bien rédigée, ne reflète plus les desiderata de l’assuré. Avec comme conséquence, au décès du souscripteur, des capitaux versés à d’autres personnes que celles que le défunt souhaitait gratifier. J’incite donc fortement les assurés comme les professionnels à vérifier régulièrement si les clauses bénéficiaires des assurances vie sont à jour. »
Philippe Baillot, la compétence nationale en matière d’Assurance, est clair. L’importance de la rédaction de cette clause permettant aux bénéficiaires de percevoir une partie du patrimoine du défunt dans des conditions avantageuses, subirait-elle une approche trop légère voire indifférente des souscripteurs mais aussi des assureurs et autres conseillers en général ?
D’où vient cette insuffisance ?
Un contrat d’assurance-vie, avant signature, réclame de compléter la clause bénéficiaire, acte qui correspond à désigner les personnes bénéficiaires de l’encours du contrat au décès de l’assuré (qui est aussi le plus souvent le souscripteur). Déjà, à cet instant, ce choix n’est pas une opération anodine.
En effet, le ou les bénéficiaires acquièrent un droit sur les primes (épargne) versées dès le jour de la souscription du contrat.
Qu’est-il proposé sur le document ?
Soit d’effectuer une désignation nominative du bénéficiaire en cas de décès, soit d’utiliser une des clauses-types proposée par l’assureur, souvent rédigée ainsi : « Mon conjoint, à défaut mes enfants nés ou à naître, vivants ou représentés, par suite de décès ou de renonciation, par parts égales entre eux, à défaut mes ascendants, à défaut mes héritiers ».
Si une simple croix ou une simple signature pouvait suffire pour répartir des sommes relativement modestes, on est surpris qu’un formalisme aussi sommaire puisse encore être de mise pour répartir par l’assurance-vie une part de plus en plus significative du patrimoine du défunt. Ces capitaux transmis hors-succession peuvent être plus importants que le patrimoine passant chez le notaire.
Ne faut-il pas être plus exigeant ?
La clause bénéficiaire doit être rédigée clairement, et de manière suffisamment exhaustive pour ne laisser aucune place à l’interprétation. Une mauvaise rédaction de cette clause peut mettre ses proches dans une situation très compliquée.
Une clause bénéficiaire ambiguë peut entraîner l’intégration des capitaux dans l’actif successoral avec la perte des avantages fiscaux mais surtout de la liberté de choix des destinataires des capitaux placés.
C’est pourquoi la rédaction de la clause est la pierre angulaire du contrat. Aucune interprétation n’est permise !
Prenons 2 exemples afin d’étayer la dangerosité d’une clause non modifiée ou mal rédigée :
Une clause non modifiée :
À la suite d’un héritage, le conjoint d’un couple marié avec deux enfants, souscrit un contrat d’assurance-vie pour lequel la clause standard a été cochée :
« Mon conjoint, à défaut mes enfants nés ou à naître, vivants ou représentés, par suite de décès ou de renonciation, par parts égales entre eux, à défaut mes ascendants, à défaut mes héritiers ». Si le souscripteur veut favoriser son conjoint, c’est la bonne formule.
Quelques années après, le couple divorce.
En l’absence de nouvelles noces et sans modification de la clause initiale, le capital sera transmis au deuxième rang de la clause bénéficiaire, c’est-à-dire aux enfants, à parts égales.
S’il veut favoriser sa nouvelle compagne, il commet une erreur lourde de conséquences : au regard du droit, un concubin ou un partenaire pacsé n’est ni « conjoint »ni « héritier ».
Une clause mal rédigée :
Le père de deux enfants a souscrit un contrat d’assurance-vie. Les bénéficiaires sont désignés par une clause type dans les termes suivants :
« Les enfants de l’assuré, par parts égales entre eux, à défaut les petits-enfants de l’assuré par parts égales entre eux, à défaut les héritiers de l’assuré ».
Cette clause exprime une volonté claire, au premier abord, sans ambiguïté, et pourtant….
Peu de temps après le décès de l’assuré (le père) est survenu celui de l’un de ses fils, alors même qu’il n’a pas encore accepté le bénéfice du contrat.
Interrogé par l’enfant survivant sur la manière dont doit être appliquée les choix de son père, l’assureur s’est abstenu de prendre position en relevant que deux interprétations, selon lui, sont possibles :
- L’enfant survivant et acceptant, en tant que seul bénéficiaire de
premier rang restant, doit se voir attribuer l’intégralité du capital - A défaut de l’un des deux bénéficiaires de premier rang, les
petits-enfants de l’assuré deviennent bénéficiaires par parts égales, mais
seulement à hauteur de la quote-part de cet enfant décédé (soit 50 %).
L’incertitude est donc totale. L’assureur a alors accepté de verser, à titre d’acompte, 50% du capital-décès à l’enfant survivant.
« Et en même temps », elle invite ce dernier, pour la moitié restante, à saisir les tribunaux afin de déterminer la volonté réelle de l’assuré au moment de la souscription.
Ces deux cas mettent en avant un déficit évident du devoir de conseil. Cependant, il ne faut pas se suffire de cet aspect :
- « Rappeler aux souscripteurs de contrats d’Assurance Vie que le devoir d’information et de conseil trouve sa limite dans leurs obligations de prendre connaissance des dispositions de leur contratet d’informer leur assureur des évènements de leur vie pouvant influer les clauses bénéficiaires. »
- Les clauses-types ne sont pas des outils dont le choix se fait comme à l’hypermarché. Elles ne sont qu’une facilité d’expression après avoir clairement réfléchi à ces choix patrimoniaux.
Pour traduire la volonté réelle du souscripteur et permettre un règlement rapide des capitaux-décès, l’assureur est le garant de la clarté et de la précision de la clause bénéficiaire.
L’intérêt d’une clause type réside « en principe » en la traduction des attentes d’une majorité d’assurés, selon une rédaction offrant toute sécurité.
Dans le même temps, l’assureur doit être formé pour s’enquérir de l’adéquation des dispositions contractuelles avec la situation du souscripteur. « Un manquement à ce devoir est particulièrement criant lorsque l’assureur s’avère lui-même dans l’incapacité d’interpréter le sens de sa clause bénéficiaire type », souligne Philippe Baillot, médiateur de l’assurance.
Or l’assureur est tenu d’un devoir de conseil envers le souscripteur, notamment quant aux conséquences des termes employés pour désigner les bénéficiaires du contrat, a fortiori lorsque ceux-ci sont susceptibles de créer une confusion dans l’esprit du stipulant (le souscripteur).
Le professionnel doit actualiser avec ses assurés – selon l’évolution de leur environnement affectif, voire des techniques patrimoniales – les clauses bénéficiaires.
Comment une désignation mécanique par l’apposition d’une croix dans une case précédant la formule type peut garantir l’optimisation de la transmission patrimoniale.
On peut rapprocher cette position de celle défendue, enfin, par la Cour de cassation dans une décision récente : « Les juges du fonds doivent rechercher la volonté de l’assuré et ne pas se contenter de la volonté présumée d’une formule pré-imprimée » (Cass. civ., 2e ch., 14 décembre 2017, n° 16-27206).
Un bon début, non ?