Le titre de Téléacteur est bien plus valorisant que celui de téléconseiller

Télé-acteur

Il y a quelques années, en parcourant les sites d’offres d’emploi, on retrouvait plus volontiers dans les offres proposées le terme « téléacteur ». Bigre ! Serait-ce une annonce pour jouer dans une série à la télévision ? De quoi attirer mon attention !

En s’interrogeant sur la nature de ce métier, en lisant les annonces plus en détail et en regardant la fiche de poste, on comprend assez vite qu’il s’agit en réalité de ce que l’on appelle plus communément un téléconseiller, avec même une tendance vers le télévendeur. Adieu tapis rouges, soirées mondaines et plateaux de télés… Voilà un titre qui semble bien grandiloquent, voire mensonger quant à la tâche à accomplir. Mensonger, vraiment ?

Télé-conseiller ou télé-acteur ?

J’ai une tendresse particulière pour cette appellation. Peut-être est-ce lié à mon amour du théâtre par ailleurs. Mais à mieux y réfléchir, ce nom de poste professionnel n’est pas si dépourvu de sens. Au contraire, il reflète finalement presque mieux le travail quotidien à réaliser que téléconseiller.

Le suffixe télé- signifiant à distance, il est logique de le retrouver dans télé/acteur, télé/conseiller ou télé/vendeur. Soit, c’est de toute façon la deuxième partie du nom du poste qui va nous intéresser.

Que ce soit au sein d’une entreprise en nom propre, ou chez un sous-traitant spécialiste de la relation client, la personne qui travaille au sein du service a pour mission, par tous les moyens mis à sa disposition, de répondre (le plus) justement (possible) à la demande du client, dans le respect des processus et autres consignes métier. Les moyens en question peuvent être des bases de connaissances mises à disposition, des appuis métiers, ses encadrants, voire ses connaissances ou ses expériences personnelles et professionnelles. Au-delà de la réponse brute à apporter, il pourra lui être demandé de créer de la valeur ajoutée à l’entreprise par un biais ou un autre (en chiffre d’affaires par les ventes, certes, mais cela peut aussi être en satisfaction client, ou en nombre ou durée de traitement).

Nous avons donc un agent dont le métier est, à distance, de connaitre et, d’une certaine manière, d’être capable de réciter un texte qui lui a été préparé, écrit par lui-même ou par un autre. On se rapproche de la définition d’un acteur de théâtre ou de télévision. La scène où se produire n’est pas la même, certes, mais les talents requis semblent proches.

Différences et similitudes

Dès lors, trois aspects du métier caractérisent fort bien la pertinence du nom d’acteur :

  • Attend-on de lui de l’acteur jouant Cyrano de Bergerac qu’il modifie du tout au tout l’histoire de la pièce en se disant qu’en fait, cette Roxane, elle n’est pas si superbe que cela et qu’il vaut mieux ne pas s’y attacher ? En donnant son avis sur ses qualités et ses défauts autrement que ce qu’en précise le texte d’origine ?

Certes, on peut trouver des adaptations ou des réécritures, mais c’est juste un autre texte à lire et à jouer auquel s’applique les mêmes règles que le texte d’origine. Certes on peut tenter un spectacle d’improvisation, mais ce que l’on veut ici, c’est jouer Cyrano de Bergerac, et que cela ressemble à Cyrano de Bergerac.

En tout état de cause, l’objectif de l’entreprise n’est pas à l’improvisation ou à l’approximation, elle est à la conformité de la réponse attendue, tel un acteur récitant son texte précis sans l’oublier ou le dénaturer. Pour le téléacteur, il ne s’agit pas de parler en son nom propre, ou de donner son propre avis ou jugement.

  • Attend-on de l’acteur jouant Cyrano de Bergerac qu’il insuffle au texte les émotions qui lui sont associées comme la mélancolie, la colère, la joie, la souffrance ?

Un bon acteur est jugé justement sur la capacité qu’il possède à transmettre plus qu’un texte par sa voix, à lui donner vie, souffle et âme, à transcender le matériau d’origine écrit pour en décupler la force.

Que ce soit lorsqu’une situation client est prise en compte, une solution proposée ou une proposition effectuée, on s’attend à ce que le ton employé, le rythme de parole ou les variations de tons s’ajustent pour répondre au mieux à la situation ou à son interlocuteur. La même proposition commerciale, dite avec emphase, entrain et enthousiasme ne sera jamais la même que celle effectuée d’un ton monocorde et dépassionné.

  • Attend-on de l’acteur jouant Cyrano de Rostand de s’affubler en tout lieu et tout moment de sa vie d’un long nez, et de déclamer des vers sous chaque balcon qu’il croise ?

L’acteur, une fois son rôle fini, peut redevenir qu’il est. On espère bien que les acteurs jouant des tueurs ne s’imprègnent pas trop de leurs rôles.

On ne demande pas à l’agent de s’approprier les discours de l’entreprise dans sa propre vie : Il vaut mieux certes être promoteur de son entreprise pour s’y épanouir pleinement, mais nul ne lui demande de véhiculer le même message en dehors de celui-ci. Une fois son travail fini, il est tout à fait libre d’être lui-même client, ou de ne pas l’être, du produit pour lequel il travaille. Ce travail peut même être la raison de ce choix, cela ne pose aucun problème. Ce que l’on attend de lui, c’est qui soit le promoteur de son enseigne pendant son travail.

Une question de perception ?

Le nom donné de télé/conseiller peut sembler plus noble. On serait en présence d’un conseil pur, désintéressé et objectif qui favoriserait avant tout et uniquement le client ou la vérité. Et c’est dans le « avant tout et uniquement » que l’abus de langage existe : il s’agit de favoriser à la fois l’employeur et le client, en mettant au service de cet objectif double la palette d’acteur que l’on a décrit plus haut.

Ainsi, le nom de téléacteur s’avère très pertinent : il ne s’agit pas de s’inventer une mission, ou d’apporter son jugement personnel comme un gage de vérité absolue. Il s’agit de s’approprier le discours et le ton de quelqu’un qui serait excellent en tout point du discours attendu par l’entreprise, tant dans le contenu que dans le ton employé et de répéter et de jouer ce personnage (de fiction peut-être).

Pour devenir un bon acteur, seul le travail paie : de la répétition, de l’entrainement, des mises en situations, seul ou en public, faire des essais de ton, de rythme, avec différentes émotions, avec différents supports pour s’écouter, se voir, écouter les retours, les critiques, les encouragements, les applaudissements… et retourner sur scène le lendemain sans que le succès de la veille ne soit une garantie du succès du lendemain. Le public est versatile, mais il reconnait, à la longue, les plus méritants.

L’acteur parfait joue le conseiller parfait, et une fois sa vacation finie, il peut redevenir ce qu’il a envie d’être, dans l’imperfection tout humaine que nous avons tous. Le monde entier n’est-il pas qu’un théâtre dont nous tous ne sommes que des acteurs, et dans lequel nous jouons, au cours de notre vie, différents rôles ?